Ammoniac. Ce n'est plus un parfum, encore moins une odeur. Cette effluve vicieuse vous ponce la gorge et le nez au papier de verre en un éclair. Votre odorat vient d'être pulvérisé, il n'existe plus. Paradoxe : l'émanation coupable est exhalée par un objet de désir en devenir, des monceaux de feuilles de tabac bientôt assemblées pour former des cigares. Mars 2007, nous sommes à la Tabacalera de Garcia, dans la zone franche de La Romana, en République Dominicaine. Ici oeuvrent plus de trois mille ouvriers et ouvrières. On y roule méticuleusement à la main, on y façonne à la "vas-y que j'te" à la machine. Du plus prestigieux (Romeo y Julieta, Montecristo - version Dominicaine) au moins chic (des Phillies au chocolat et à la menthe...). Le hecho a mano - roulé main - concerne notamment les extensions de gamme apparues à la rentrée en France chez Pléiades et Vega Fina.
Je sais, on devrait parfois éviter de soulever le rideau des coulisses. Il y a des making-of inutiles.
Mais...
Mais avant de se retrouver entre nos mains, le cigare a eu plusieurs vies. Dans l'une d'elles, il s'est réveillé en mille morceaux (les feuilles), arraché à sa balle de toile de jute. Empestant, car en pleine fermentation. L'étape est peu ragoûtante. Elle est pourtant cruciale. A cet instant, le tabac sue. Scientifiquement parlant, il "dégaze". Il laisse au vestiaire son trop-plein d'azote et de nicotine. D'où les relents âcres, résultant de la dégradation de ces éléments indésirables. Objectif : neutraliser l'agressivité, arrondir saveurs et arômes avant que le cigare ne soit roulé, emmaillotté et prêt à quitter la fabrique. Débarrassé du négatif, il livrera alors ses parfums de gala : cuir, suint, bois précieux, épices... Et pourra, bien plus tard, s'évanouir entre vos doigts. Pour y mourir. Dans une prochaine vie.
(Photos : B. Wagner)