Les escarpins des hôtesses d'accueil de la 13e Nuit de L'Amateur de Cigare (ci-dessus) tanguaient entre deux espace-temps. Chicago, 1930 ou Paris, 2007 ? Le Pavillon Ledoyen levait ce soir-là l'étendard havanophile, convoquant boas et trois-pièces rayés, Borsalinos - et même une mitraillette - pour une célébration placée sous le signe de la Prohibition. On rassura les quelque 600 invités dès les premières minutes du souper. Il y aurait bien une quatorzième Nuit en 2008. Sans aucun lien de cause à effet, dehors, le vent se levait brusquement au même instant. A l'abri, on s'attablait autour des plats préparés par le chef breton Christian Le Squer - trois macarons à l'épaulette. Poisson refroidi, carpaccio et émulsion de betteraves ; veau en persillade, timbale de macaronis truffée ; roquefort Papillon et beurre de brebis. Les bouteilles tintaient. Les langues se déliaient. L'artiste Hervé Baudry, inspiré par le dress-code, promettait un dessin exclusif à Churchill Attack avant d'analyser les étiquettes. Le Château Chasse-Spleen 2000 surpassait-il le Château-Ségur 2004 ? Etait-il judicieux de se resservir en Sauternes Château de Rayne Vigneau 2003 avant le final sucré magistral (un Miroir de chocolat noir, glace au café torréfié), du reste élégamment escorté par un Porto Graham's late bottled Vintage 2001 ? Quoiqu'il en soit, la passerelle était toute tracée vers la découverte des cigares de la Nuit. Deux indétrônables du Havanoscope depuis 1998, le Sir Winston de H. Upmann et l'intimidant et copieux Partagas Lusitanias, et le module le plus vendu en 2007, l'électrique Partagas Série D N°4. "Mobilisons 200 personnes pour descendre les Champs en Vélib', fumigènes allumés", proposait-on à une table, en secouant une longue allumette pour l'éteindre. "L'année prochaine, il faut se réunir sous le Pont-Alexandre III", suggérait-on plus loin le front levé, en exhalant une bouffée épicée.
"Oui au plaisir de fumer ! Oui au plaisir de fumer !" scandait micro en main et chapeau de paille de veguero sur la tête Jorge Luis Fernandes Maique, président de la Coprova, l'importateur des Habanos pour la France. Juste avant lui, François Dutreil d'Altadis (le géant du tabac franco-espagnol) avait évoqué un recours porté devant la Cour européenne des droits de l'homme mais déjà, on se levait pour rejoindre, à l'étage, les tables de poker et le boudoir dédié à la dégustation des single malt de Laphroaig. Poussé à son tour sur scène, Christian Le Squer, longiligne, timide et diplomate, espérait au micro que les amateurs pourraient "s'adonner à leur passion encore très longtemps" (tiens ? chez Ledoyen ?). A une heure du matin, ce samedi 1er décembre, le repas était clos, les nappes des tables les plus exilées parties à la blanchisserie. Maya Selva, de son propre aveu un brin jet-laguée - elle rentrait du
Honduras - hantait les lieux d'un salon à l'autre, silhouette drapée et
gantée de noir tel un spectre surgi des années 30. André Santini, Ministre de la fonction publique, avait pris congé depuis longtemps (François Fillon réunissait le lendemain à Matignon les ministres concernés par la conférence sociale de mi-décembre) lorsque dans l'antichambre du pavillon, Dick Rivers cherchait desespérément une bonne âme pour l'emmener à Cuba dans les prochains mois, son entreprise ne rencontrant que sourires polis et yeux fatigués. Son projet tient toujours. Quelqu'un pour l'aider ?
Post-scriptum : l'incorruptible Hervé Baudry vient à l'instant d'envoyer son instantané de la soirée. Juste pour vous.
Illustration (c) Hervé Baudry
Photos : B. Wagner