Dans une autre vie, Alain Chaplais fut journaliste à Nantes
et à Saint-Nazaire pour Presse-Océan. Une trentaine d’années. A sa
retraite, en 2000, il s’installe à Cuba. Il vit depuis à Santiago 9 mois sur 12
et collabore au Guide du Routard édition Cuba depuis 2001 (les notes
historiques et culturelles très pertinentes du début du guide, c’est lui) et,
depuis 2003, à l’édition Saint Domingue / République Dominicaine. Lorsqu’il
regagne son appartement après une session de recensement de restaurants, hôtels
et chambres d’hôtes, il se glisse sans histoires dans une vie tout à fait
« normale ». Au diapason des cubains, qui le fascinent toujours et
qui l’agacent régulièrement. C’est ce côté caméléon qui m’a plu chez lui…
Depuis votre arrivée sur l’île, comment a évolué le
quotidien des cubains ?
Peu, mais ça commence à aller mieux dans les transports et
le logement, notamment. Il y a deux, trois ans, les salaires ont pratiquement
été doublés, passant de 120 à 220 pesos (une dizaine de nos euros). C’est
énorme ! Mais les prix augmentent en parallèle, donc les gens ont du mal à
vivre. Même avec un «gros» salaire de professeur, de médecin ou de
militaire. Pour s’en sortir, il y a toujours des petits trafics, des petits
vols, des doubles métiers, le gars bosse la journée et fait taxi le soir. Il
y a deux ans, Castro a annoncé la suppression de tous les vieux équipements
électriques (réfrigérateurs, climatiseurs, ventilateurs…) contre du matériel moderne, fabriqué à 99 % en Chine. Le problème, c’est que les
gens ont emprunté à l’Etat pour s’offrir ces appareils. Surtout, les notes
d’électricité ont terriblement augmenté ! Dans certains foyers, cela
correspond à la moitié de la paie, chaque mois. Dans ce pays où l’éducation et la médecine
sont gratuits, acheter des chaussures ou des vêtements reste très difficile. Bref, les
gens râlent beaucoup après leur quotidien.
Raul Castro serait, selon vous, plus proche de la vie
quotidienne des cubains que son aîné…
Fidel vit depuis le début dans ses délires, dans une Cuba utopique. Raul n’est pas comme lui. Depuis sa nomination
à la tête de l’île, c’est infime, mais on remarque dans les journaux – qui sont
tous officiels, Granma et Juventud Rebelde en tête – et à la télévision, des reportages
critiques sur la lenteur de la bureaucratie. Du jamais vu ! L’autre jour,
à la télé, on voyait un marché. Comme tous les marchés, celui-là était sensé
mettre à la disposition des clients une balance pour que le poids de la viande
soit vérifié, et qu’un kilo ne fasse plus 750 grammes... Et bien les images ont
montré sans censure que la balance n’arrivait pas, que "ce n’était pas normal".
Tout cela recoupe le discours de Raul Castro du 26 juillet dernier, jour de la
Fête nationale, où il a demandé plus d’efficacité aux cubains, plus de responsabilité
dans le travail et aux fonctionnaires d’être plus proche du consommateur.
Cela annonce quoi, selon vous ?
Pour l’avenir, il faut se tourner vers les Etats-Unis. Raul
Castro lui-même a dit que beaucoup viendrait du prochain président américain.
Réponse après la prochaine élection présidentielle de novembre 2008.
Dans quel sens évolue l’industrie du tourisme ?
Mon premier séjour à Cuba remonte à 1995. A cette époque, on
y croisait quelques pionniers et des touristes discrets : des camarades
des autres partis communistes. Quand Castro a compris que le salut viendrait du
tourisme, on a vu beaucoup d’hôtels se construire. Souvent gérés entre l’Etat
cubain et des sociétés étrangères, une bonne partie espagnoles (Melia), Accor pour la
France. Le club Med est parti, lui… C’est un tourisme surtout grégaire :
les gens ne sortent pratiquement pas de leurs chambres. A côté, heureusement,
émerge un tourisme individuel, avec logement chez l’habitant. Cela donne des
retombées, même si les cubains se plaignent parfois de ne pas en voir la
couleur. Ces dernières années, pas mal d’écoles, de collèges, d’hôpitaux, ont
été construits ou rénovés. Le tourisme n’y est pas pour rien. Aujourd’hui, les
cubains attendent que l’embargo soit levé pour accueillir les américains et leurs
devises. Nombre d’hôtels, presque vides actuellement, sont prêts à être
bondés.
Qui vient aujourd’hui à Cuba ?
Sur les 2 millions de touristes annuels - il faut s’attendre
au double quand les Etats-Unis viendront - les Canadiens constituent près de la
moitié. La fréquentation des européens du sud (France, Espagne, Italie…) est en
baisse, ceux du Nord (Hollande, Allemagne, Finlande…) en hausse.
Le cigare ?
Je ne suis pas un fin connaisseur, mais j’ai le souvenir
d’avoir savouré là-bas un Bolivar – j’ai oublié le module, un corona, je crois…
Le meilleur que j’aie fumé. Je n’y touche plus en ce moment, j’ai peur de
replonger.
Votre meilleur plan pour déguster un puro à Cuba ?
Le roof garden de l’hôtel Casa Granda à Santiago de
Cuba. Pour sa fraîcheur à la nuit tombée et sa vue, qui embrasse à la fois la
cathédrale, la baie de Santiago et le massif de la Sierra Maestra.
Comment ressentez-vous le « poids » du cigare à
Cuba ?
Il fait partie de la carte postale, avec la salsa, le rhum,
la langouste et les vieilles bagnoles américaines. Mais réduire le havane à
cela serait tomber dans le panneau. C’est si intime, si près du peuple. Une
image : le 14 juillet dernier, j’étais à La Havane, Parque Central, sur un
banc, à attendre que les portes de l’ambassade de France s’ouvrent pour la
réception donnée pour la Fête nationale. A côté de moi, une femme fumait un
cigare. Je n’ai pas pu résister à la prendre en photo. Elle m’a confié qu’elle
en fumait trois par jour. Par son allure, sa fierté à cet instant précis, cette
femme évoquait tout ce qui me touche dans l’essence de Cuba.
Photo : Alain Chaplais