« Je vis parmi les poètes, les lesbiennes, les peintres et les musiciens, les troubadours et leurs guitares, les alcooliques et les drogués, les putes et les fous. En pleine décadence, quoi. L’abolition du bourgeois. L’enfer ». A lire le texte de la quatrième de couv’ du dernier roman de Pedro Juan Gutiérrez publié en France (Albin Michel), Le Nid du Serpent, on trouve assez logique que l’écrivain cubain donne rendez-vous dans un bar de la place Pigalle, entre un peep-show et un sex-shop.
Oui. Je voulais terminer le "cycle de Centro Habana", composé de cinq livres : La Trilogie sale de la Havane, Le Roi de la Havane, Animal Tropical, El Insaciable Hombre Arana et Carne de Perro, les deux derniers n’étant pas encore publiés en France. J’ai eu envie d’écrire sur Pedro Juan jeune, à dix-sept, dix-huit ans. Le prélude au héros violent, hypersexuel, un peu fou de La Trilogie sale de la Havane. Cela donne un livre de souvenirs assez autobiographique. Il s’achève avec Pedro Juan sortant du service militaire. Il plaque sa nana, il ne sait pas ce qu’il veut, il est bourré, se lève et part dans la nuit. Et ça finit sur cette phrase : «Il fallait continuer à avancer, avancer à travers la furie et l’horreur ». Points de suspension. Ce qui a excité mon éditeur italien au plus haut point : il est convaincu qu’on va continuer à suivre l’apprentissage de Pedro Juan…
Et donc ?
J’écris effectivement la suite, par petits bouts. Même ici, à Paris. Mais j’ai un vrai problème avec l’écriture. Quand je commence un roman, ce n’est pas comme un poème. Je tourne autour. Quand j’ai enfin commencé, ça me prend quatre à cinq mois.
Vous n’aimez pas évoquer publiquement la situation
politique à Cuba. Pourtant, avec Le Nid…, vous décrivez sans fard l’effondrement
du rêve révolutionnaire…
J’avais besoin d’écrire sur les années 70 à Cuba. Pour nous, elles ont autant compté que votre Mai 68, ou que le Flower Power américain. L’abolition de la propriété privée, la violence, l'absurdité du service militaire, la diaspora – un million de cubains vivent aujourd’hui à Miami, 40 000 à Paris… Le Nid… donne une approximation romancée de tout cela. Au début, mon texte était trop politique, presque une analyse. Peut-être parce que j’ai été journaliste pendant 26 ans. J’ai retravaillé cette première version. Maintenant ça fonctionne. Il y a plus de politique et moins de fiction.
Que reste-t-il du Pedro Juan de cette époque ?
Je dirai qu’il en reste un peu trop ! Il est devenu plus mûr, plus serein. A 57 ans, je suis toujours impulsif, je deviens à moitié fou quand je vois une femme qui me plaît (à la fin de cette interview, l’écrivain prendra congé pour aller retrouver « une amie brésilienne »… NdA). Hier, à l’aéroport de Madrid, je suis passé à la librairie. Je me retrouve avec un bouquin dans les mains, intitulé Vieillir avec sagesse. (rires). Je l’ai reposé. Cela manquera peut-être à ma culture, mais faut pas pousser…
Gardez-vous l’espoir d’être publié à Cuba de votre
vivant ?
Là-bas, mes livres ont une couleur encore trop politique. Seuls trois textes sont tolérés, La Mélancolie des Lions, Animal Tropical et une nouvelle policière. Ils sont tellement passés au tamis avant d’être publiés qu’ils en sont devenus squelettiques. Ailleurs, comme en Espagne, en Italie, en France, où on les achète avant tout pour le sexe débridé, le lobby en ma faveur grandit. Editeurs, journalistes, m’aident chaque jour davantage. C’est bon pour moi. J’ai plus que jamais l’espoir de feuilleter un jour mes livres à La Havane.
Le Nid du Serpent, Pedro Juan Guttiérez, Ed. Albin Michel, 19,50 euros.
www.pedrojuangutierrez.com
(Photos : B. Wagner)
cette interview donne vraiment envie d'aller courrir acheter ses livres. Rentrer en vitesse, se servir un petit coup de rhum, baisser les lumières et attaquer tout ça en priant tous les saints de ne pas être dérangé.
Rédigé par : claire | 11 octobre 2007 à 16:32