13 h pile, ce midi. J'arrive à la Villa Corse (celle du XVIe arrondissement) pour un déjeuner d'affaires. Dix mètres avant l'entrée, je jette un regard mécanique à la terrasse en bois, ouverte et chauffée et... J'en reste coi. De profil, une silhouette se dessine et je m'offre dix secondes de tachycardie : une mèche raide qui dégringole sur le front, des Ray Ban, une bouche pinçant un épais cigare (Cohiba), un je ne sais quoi de moqueur dans l'allure... C'est Dutronc. Intemporel. Attablé devant un seau à champagne, une flûte face à lui. J'ai les mains moites. Ne rigolez pas : depuis que la mort de Philippe Noiret m'a rendu inconsolable, c'est le seul artiste avec lequel je rêve d'échanger sur le cigare, un verre de rosé à la main, en tricotant des phrases pas forcément intelligentes. Dois-je me présenter et demander une interview ? Ne rien faire car c'est perdu d'avance ? Le temps de trancher, j'étais déjà à l'intérieur du restaurant, mon ticket de vestiaire à la main. Comme un lâche. Mais la partie n'était pas finie...
Autant vous dire que mes oeufs mollets à la figatelle, mon stufatu de veau de lait Corse de la ferme Abatucci - d'excellente tenue, dorloté par les rayons du soleil jusque dans sa chair - avaient le goût de la défaite. Ma conversation ? Distraite. Un café, l'addition, le vestiaire. Je prends congé, me retrouve sur la terrasse... D'où Dutronc n'a pas bougé. Il fait la conversation à trois amis et une bouteille de rouge Corse. Alors je me lance. Carte de visite en main, je m'approche : "Bonjour, excusez-moi... euh... de vous déranger... Je... Je suis journaliste, j'ai aussi deux-trois projets sur le cigare et... J'ai d'ailleurs déjà essayé d'entrer en contact avec vous...Enfin... Si on pouvait se rencontrer, ce serait formidable, en fait... J'ai un blog, aussi"
Dutronc esquisse son légendaire sourire - ironique mais bienveillant.
-"Ah, l'Amateur de Cigare... C'est une vieille histoire. Vous me courrez après depuis longtemps, vous !"
-"Justement, je suis tenace (sourire crispé). Ce serait l'occasion d'échanger..."
-"Faites plutôt des trucs sur les lieux où on peut fumer tranquille... Y'a pas moyen de se trouver un endroit où déguster un cigare entre vrais amateurs..."
-"C'est une idée. Vous savez, le magazine en parle déjà un peu... (Je louche sur l'énorme module à bague noire qu'il serre entre ses doigts. Ce n'est plus le Cohiba de tout à l'heure) Ah, je vois que vous vous laissez tenter par le Septimo, le nouveau cigare venu du Costa Rica... ?"
-"Exact. Une entorse à mes habitudes cubaines... Mais chut !"
-"On pourrait peut-être discuter de tout cela un jour prochain ?" (quitte à être lourd...)
Il prend ma carte, la considère et la range dans la poche de sa veste, cigare coincé entre les dents. Toujours ce quart de sourire unique.
-"Faut voir, faut voir... Merci pour la carte en tous cas."
Bottage en touche plus que pro : gentleman.
Je suis parti m'engouffrer dans le métro en calculant les chances qu'il me rappelle. Une sur un million ?
A votre avis ?
Crac boum hu hu hu hu !
Crac boum hu hu hu hu !
Bidabeulyou va l'avoir, son interview : son audace sympathique, pas lourde, pas envahissante aura sûrement séduit l'Illustre. En tout cas, l'émotion et l'excitation sont bien rendues dans ce récit... Wait and see and good luck, BW !
Rédigé par : Agana | 29 janvier 2008 à 19:15
Post-scriptum pour Philippe : s'il me contacte, tournée générale de Trinidad (pour nous deux, bien sûr...) !
Rédigé par : Benoit Wagner | 28 janvier 2008 à 18:09
Merci à tous pour vos encouragements ! Je ne dors désormais que d'un oeil, le téléphone à portée de main. Et un ami motard se tient à ma disposition, en faction en bas de mon immeuble, 24 h / 24 au cas où je serai convié même à pas d'heure à une rencontre avec l'artiste...
Rédigé par : Benoit Wagner | 28 janvier 2008 à 15:58
Quelle chance vous avez eue ! Je vous souhaite qu'elle se poursuive par un appel…
Rédigé par : Turquois | 26 janvier 2008 à 17:40
J'adore votre histoire Monsieur. J'adore Dutronc aussi. Et croyez-bien que je vais mettre votre blog - que je ne fais que découvrir - en favoris. Good job Sir.
PS. Je suis pas un grand fan de cigare, mais j'aime bien jouer. Et je crois que je vais m'abstenir de parier sur "Dutronc va me rappeler". Désolé.
Rédigé par : Stéphane R. | 25 janvier 2008 à 17:25
Je ne savais pas que tu voulais le rencontrer.
Je pense pouvoir te donner un bon coup de pouce ...
Peintre
Rédigé par : Peintre | 25 janvier 2008 à 16:21
Décidément Jacques Dutronc passa sa vie à La Villa Corse. Par deux fois en moins de six mois, je l'ai aperçu là-bas comme tu l'as décrit...cigare et champagne mais c'était avant le passage de cette loi qui l'oblige désormais à aller fumer en terrasse. Je mise un Trinidad de Cuba qu'il te contacte.
Rédigé par : Philippe Toinard | 25 janvier 2008 à 15:07
J' ai relevé une de ses phrases que j' ai mis dans mon blog quand je l' ai lancé : "le cigare, je n' en parle pas, je le fume".
Peut-être fera t' il une entorse à ses habitudes, comme avec le Septimo ;-)
Rédigé par : Erwan | 25 janvier 2008 à 12:33
Jacques Dutronc par Benoit Wagner ! Tout y est, tout est bon. Tu as osé franchir le cap et lui dire deux mots, il a vu que tu connaissais le cigare comme ta poche, maintenant la suite, c'est une autre histoire. si elle arrive tant mieux, si elle n'arrive pas, il y aura toujours la première histoire !!
Rédigé par : fortune james | 24 janvier 2008 à 22:24
Je ne serais pas aussi pessimiste que thierry et caroline. Il va peut-être apprécier ta tenacité et se dire qu'il vaut mieux se "débarasser" de toi et de ton itw vite fait au risque que tu le harcèles encore longtemps ! Et puis il a vu ton visage, ça marque.
J'espère que tu vas recevoir le coup de fil magique... On attend des nouvelles !
Rédigé par : Aude | 24 janvier 2008 à 21:54
Je viens d'aller me promener à...
"la villa corse"!! non, bien sûr, mais j'aurais aimé être "une petite souris"
waouh, c'est génial, et tu as bien
fait d'aller lui parler, c'est tou-
jours cela de pris, et en espérant que ta carte de visite fasse que cela aille beaucoup plus loin;
en tous les cas c'est "épatant"!
Rédigé par : tesson katsoumi | 24 janvier 2008 à 20:41
Mais oui, tu as eu entièrement raison. La chance sourit aux audacieux.. Autrement tu serais encore là à le regretter !
Rédigé par : Mr Lung | 24 janvier 2008 à 00:42
il se souvient de toi, et maintenant il t'a vu et il a ta carte, tu auras fait de ton mieux.
C'est un grand Monsieur, je pense qu'il y a une chance que vous vous revoyez.
Rédigé par : Chrisos | 23 janvier 2008 à 23:43
Waouhhhhhh !!!! J'ai la chair de poule ! J'étais la derrière toi, à attendre ce qui allait se passer....
C'est génial que tu y sois allé, il faut y croire, on ne sait jamais, peut-être aura-t-il été sensible à ton bonne tête et à ton audace. Très heureuse pour toi.
Grosses bises
Rédigé par : gaelle szymandme | 23 janvier 2008 à 22:44
Pas mieux que Thierry : tu as eu raison sur toute la ligne ! Et merci pour le récit, j'ai eu l'impression d'y être ! Le genre de rencontres dont tu ne perds pas une miette, le genre de dialogue qui te reste à jamais gravé, comme je te comprends !
Rédigé par : Caroline M | 23 janvier 2008 à 19:48
A mon avis aucune mais tu as rudement bien fait de tenter ta chance et d'échanger quelques mots avec une légende. J'aurais fait de même et sans doute avec encore plus de timidité, le gentleman a le sarcasme facile...
Décidément il est très corse dans l'âme notre Dutronc !
Rédigé par : Thierry Richard | 23 janvier 2008 à 18:34