"Que faire de 5 Cohiba achetés à La Havane en 1971 ? Secs archi-secs, ils n'ont jamais été conservés en humidor. Peut-on leur rendre vie ?" La question m'a été posée par René, depuis Montpellier, il y a quelques jours. Pour être franc, c'est la première fois qu'une telle requête parvient jusqu'à ce blog. "Allo? Docteur cigare ?" Il s'agissait de ne pas décevoir René. Du coup, j'ai carrément transmis le dossier à une pro du puro : Delphine, l'ex-propriétaire de la Civette de Neuilly...
"Il est tout à fait possible de réanimer de vieux cigares, en s'armant de beaucoup de patience" rassure Delphine. "Afin de ne pas "traumatiser" les cigares (surtout la cape et la sous cape), le mieux est de les disposer quelques semaines dans une pièce naturellement humide (une cave par exemple). Ainsi, les cigares vont pouvoir "capter" tout en douceur l'humidité ambiante. Cette étape doit prendre plusieurs semaines. Surtout ne pas presser les choses. Ensuite, vous pourrez les disposer dans un humidor sans mettre trop d'eau dans l'humidificateur. En fait, c'est à vous de "sentir" au toucher si les cigares sont disposés à recevoir un peu plus d'humidité. Si vous ne prenez pas le temps, par exemple en les disposant directement dans un humidor entre 70% et 75% d'hygrométrie, alors il est à peu près certain que les capes ne s'en sortiront pas sans quelques éclats".
Delphine a tout résumé : y aller progressivement est la clé du succès. Un cigare est composé des feuilles de la tripe (qui constituent le "centre" du cigare), protégées par une feuille nommée sous-cape, elle-même recouverte de la cape. Cette dernière étant la feuille de "finition", la plus belle, celle qui flatte votre oeil (en principe) lorsque vous admirez votre Cohiba. Or, sous l'effet de l'humidité qu'elles absorbent, les feuilles de tripes gonflent. Si cette étape se produit trop rapidement, vous risquez de faire éclater la sous-cape et la cape. Cette "crevaison" sera fatale : l'air s'engouffrera anarchiquement dans votre module - et vos efforts seront réduits en cendres. Francis Mathieu, qui fut longtemps l'âme de la Boutique 22, à Paris, m'expliqua un jour : "Les cigares ont la mentalité Caraïbe. Ils ne veulent pas qu'on les bouscule, ni qu'on les oublie..." Tout est question de dosage.
Sachez enfin que si vous ne souhaitez pas investir dans une cave à cigares (un humidor, donc), plusieurs possibilités s'offrent à vous. D'un côté l'option Tupperware, en prenant une de ces boîtes dans laquelle vous rangerez vos vitoles au côté d'un fond de gobelet en plastique contenant des ronds de coton hydrophile démaquillants, légèrement imbibés d'eau déminéralisée (pas d'eau du robinet, facteur de bactéries). De l'autre, l'option boîte à cigares vide en cèdre (gentiment demandée à un vendeur, ça peut marcher), où là aussi, vous placerez le même système d'humidification de fortune. Attention : pas de rondelles de carottes ni de pomme de terre : le cigare, très fragile, est un formidable capteur de saveurs et d'odeurs... Un peu comme votre plaquette de beurre lorsqu'un demi-melon a été "oublié" dans votre réfrigérateur, en été. Il y a des mélanges fort malheureux...
Ensuite ? La comparaison avec un grand vin délaissé n'est pas incongrue. Soit la félicité, soit le constat de décès. N'oubliez pas que vos petits trésors reviennent de loin. En bouche, ils pourront aussi bien exprimer un goût de poussière ou de carton (électroencéphalogramme plat) ou au contraire, revenir à la vie les muscles bandés et l'oeil malicieux, convoquant congas, soleil et mojitos (façon De Funès revigoré dans Hibernatus).
Pour ma part, j'ai appliqué cette méthode de réhydratation progressive pour un Romeo y Julieta churchill vieux d'une dizaine d'années, rapporté de Cuba par un ami (et momifié par ses soins dans un tiroir). En trois à quatre mois, logé dans le recoin le plus éloigné de l'humidificateur d'une petite armoire à cigares, il avait repris son moelleux (au toucher). Pour cela, je l'ai couvé du regard quasi-quotidiennement. Ne restait plus qu'à le déguster mais... Je m'étais attaché à lui. Aucun moment ne me semblait assez solennel pour nos adieux. Finalement, il m'a accompagné lors d'un voyage en République Dominicaine, l'an passé. Après un an de cave. Sous le soleil des Caraïbes, il était magnifique. Sa cape sombre, grasse luisait. Je l'ai décapité après un déjeuner, l'embrasant religieusement, un expresso fumant devant moi. J'avais choisi d'être seul pour ce moment qui fut exceptionnel : ressuscité, ce havane avait gagné en rondeur et profondeur ce qu'il avait perdu en âcreté. Onctueux, cacaoté, générant une fumée opulente et racée. C'est l'un des meilleurs cigares que j'ai jamais savouré. Je vous souhaite, René, de faire renaître vos Cohiba avec le même succès.
whouhhh
et bien moi qui pensait mes quelques cohibas esplendidos décédés...
j'enfile ma blouse de chirurgien et je file illico les réanimer !
Merci Dr Wagner
Rédigé par : pilik racoon | 15 février 2008 à 12:02
quelle enquête! et ta touche et expérience personnelle donne à la technique toute la douceur d'une fumée épicée. je pense que René ne peut espérer meilleur exposé.
Rédigé par : claire | 10 février 2008 à 22:37