Les lecteurs réguliers le savaient déjà : entre deux cigares, il n'est pas rare que je savoure les volutes d'une bonne bouffarde. L'humble noblesse de l'objet, la saveur réconfortante des tabacs aromatiques... Une autre dimension où l'on se détourne d'une certaine virilité tatouée "Caraïbes" pour faire place à une autre parenthèse, plus ouatée. Plus intime, peut-être. Sans masque, en ce qui me concerne. Yin et Yang, cigare et pipe, j'assume pleinement ma fidélité à ces deux liaisons complémentaires. Je ne pouvais donc que me rendre, samedi dernier, à l'anniversaire du Caïd, rue de la Sorbonne...
Autant décevoir sans tarder les amateurs d'histoires à la Audiard : Le Caïd n'est pas un ponte de la chnouf portant imper et feutre gris, mais une brave boutique sise rue de la Sorbonne à Paris, alignant sobrement en vitrine une collection de pipes à rendre Brassens sans voix. Le célèbre sétois était d'ailleurs client de cette vieille échoppe (à l'époque boulevard Saint-Michel) qui fêtait samedi ses 130 printemps.
Je suis arrivé en retard. Mais suffisamment à temps pour retrouver un J.-P. collé à l'un des présentoirs, notant fébrilement les références du poème de Charles Perrault qui venait d'être déclamé pour ouvrir les réjouissances (s'il lit ces lignes, je l'invite à en faire profiter tout le monde, je n'avais pas encore sorti mon carnet...). Autour de J.-P., une dizaine de sourires et le double d'yeux bienveillants et tranquilles, serrés entre le comptoir et les vitrines bien garnies (de magnifiques pipes Peterson, Savinelli, Butz-Choquin, Chacom, Dunhill...). Parmi ce petit monde, un homme d'une belle stature passe et se présente d'une voix posée : "Yves Grenard". Nous le saluons poliment, lui demandant : "Et vous êtes... ?" "Le directeur de la maison Chacom, à Saint-Claude". En bref, l'un des grands noms de la pipe en France. Chacom, de la contraction des noms de ses fondateurs, Chapuis et Comoy, a été fondée en 1825. Yves Grenard représente la cinquième génération. "L'entreprise est depuis 125 ans dans ma famille, excepté durant 28 ans, où la maison était anglaise", précise-t-il, aimable et fier. Derrière lui, un jeune trentenaire se tient tout aussi droit, svelte, le cheveu blond et court. C'est - nous allons vite l'apprendre - Antoine, son fils. "Je lui ai donné le choix, il n'y a pas si longtemps", reprend Yves Grenard, tendant le bras vers sa descendance. "Soit je vends, soit tu reprends". Le rejeton a repris la fabrique, toujours basée dans le Jura. Dans la petite boutique parisienne, ce samedi, tout le monde l'appelle "le designer", puisque, par petites touches, Antoine accompagne la tradition familiale vers demain en dessinant pour des prototypes à la ligne somme toute classique, ici un tuyau, ici une lentille (l'orifice laissant passer la fumée vers le palais). Tournant nos yeux vers Grenard père, nous entendons bien profiter d'un conseil d'expert. Tirant une bouffée de Larsen Classic (un tabac aromatique très doux) de ma Peterson Celtic, j'écoute J.-P. demander : "Si vous n'aviez qu'une pipe Chacom à nous conseiller, laquelle choisiriez-vous ?" Grenard, au-dessus de ses lunettes en écaille : "Quel tabac aimez-vous fumer ?" Du gris, répond mon compère. "Du gris ? D'accord... C'est un tabac sec. En se consumant, il va donc chauffer la bruyère dont est composé le foyer de la pipe. Il vous faut un foyer pas trop fin et un tuyau droit, pour assurer un tirage régulier. La n°185 de Chacom est idéale pour le gris. D'une manière générale, quel que soit le tabac, je ne conseille personnellement que des pipes droites ou très légèrement courbées. Pas les courbes."
Joignant le geste à la parole, le maître-pipier libère de leurs tiroirs quelques modèles. La master class continue, avec la mise en valeur d'une pipe sablée (à droite sur la photo). Sabler signifie projeter à forte pression du sable et de fins morceaux de verre pour débarrasser le bois de bruyère de ses parties tendres, fragiles lors de la combustion du tabac. Seule la structure solide reste. "Ces pipes sont mal-aimées, sans doute à cause de leur apparence, alors qu'elles sont souvent magnifiques. Et, du coup, plus légères ! Il n'y a pas mieux". Convaincu, J.-P. fait l'acquisition de la fameuse n°185. J'opte, pour ma part, pour une sablée noire assez fine, une n°39 de marque Comoy, sur les recommandations d'Antoine. Peu de ces modèles originaux existent encore aujourd'hui. Une survivante des années 50, 60, 70 ? J'ai oublié de demander... Ravi de cette nouvelle pièce, je me retourne vers le paternel. Réaction : "Ah, justement, elle a été faite à Londres, à l'époque où la société n'était plus à Saint-Claude. Mais bon, c'est pas grave, les Comoy, c'est des cousins, ça va, c'est bien quand même..."
Ouf...
Ah... A L'Oriental ! Et dire que je suis passé devant sans même la voir pendant des années. La Peterson dont je parle dans le post vient justement de cet attachant bazar. Rakel, la gérante, vaut à elle seule le détour ! Un monument de gentillesse.
Rédigé par : Benoit Wagner | 23 juin 2008 à 11:04
Il y a la fameuse boutique à l'Orientale dans les jardin du Palais royal. Même si elle est ultra connue, je trouve que ca reste un joli lieu de curiosités.
Rédigé par : louison | 23 juin 2008 à 10:03
Je me doutais bien que le JP en question ne pouvait être que celui à qui je pensais vu le sujet (le gris finissant de me donner la puce à l' oreille) ;-)
Et bien je salue Benoit pour son opiniâtreté, je fume de temps à autres la pipe, mais j' avoue que ses mystères et sa maitrise m' échappent encore.
Un jour peut-être...
Rédigé par : Erwan | 20 juin 2008 à 19:10
Par contre, impossible de retrouver ce magnifique texte !
Il va falloir que je contacte directement le possesseur de cette rareté !
Rédigé par : Peintre | 18 juin 2008 à 22:51
Superbe article et compte rendu ...
... et je confirme que cette 185 est vraiment exceptionnelle !
Rédigé par : Peintre | 18 juin 2008 à 22:37
juste une bise en passant ;-)
Rédigé par : szym&me | 17 juin 2008 à 19:40