Au sortir de la Master Class du Grand Tasting dédiée aux "vins introuvables", j'aurai pu vous parler de ce Médoc, Château-Palmer 1991, 3e grand cru classé de Margaux, dont quelques bouteilles ont été miraculeusement mises en circulation alors que le gel a compromis la majeure partie de la production. Nez complexe, animal et bouche "bourguignonne", aux dires du critique Michel Bettane, c'est à dire "très arômatique"... Pour être franc, cette étape-là, comme les deux autres de la dégustation, ont été effacées de ma mémoire. La faute au dernier verre. On nous apporta un Porto Vintage 1963 de la maison Morgan. Vintage signifie que le vin a été très vite mis en bouteille, au lieu de vieillir en fût. C'est donc à l'étroit, reclus, qu'il s'est affiné, arrondi. Arrive sous nos yeux une flamme ensommeillée de couleur ambrée. Une fois les vapeurs d'alcool passées, le nez décèle une fragrance vanillée et de fruits confits. Au palais, le spectacle se poursuit, longtemps, onctueux, sur une finale de cerise... Aucune lourdeur, ni sécheresse. Il reste frais. On salive, même. Ce vin est d'une jeunesse et d'une classe saisissantes. Il serait, dit-on, parfait pour escorter un gibier, du fromage à pâte persillée. Ou sur un chocolat pas trop amer. J'entends parler de "vin de méditation, de plaisir absolu". L'oeil plongé dans ses reflets coucher de soleil, je n'écoute plus. Réchauffé à ses rayons, interrogeant son léger dépôt en suspens, je ne peux m'empêcher d'imaginer le film de l'année 1963 : que s'est-il passé dans le monde, quelle musique composait-on, qui des miens riait ou pleurait à l'instant où ce nectar fut capturé ? Je n'ai pas fini mon verre. J'ai abandonné là, seul, ce fantôme de 1963, replongeant en frissonnant dans cette fin d'année 2007, sans me retourner.
(Photo : B.Wagner)